La réduction de la charge d’impôts des entreprises va-t-elle vraiment créer des emplois comme prédit par les tenants de cette loi, ou les profits dégagés vont-ils servir à autre chose ?

Le Souverain suisse va-t-il croire au mirroir aux allouettes et ne pas tirer de leçon de expériences passées dans d’autres pays ?

Les Econoclastes : Petit bréviaire des idées reçues en économie (2004)

Extrait des pages 191 et 192

« Début de l’extrait »

Accroître les profits aujourd’hui, et l’emploi demain ?

Suite à la crise des années 1970, la part des profits dans la richesse dégagée par les entreprises, mesurée par leur « valeur ajoutée », s’est dégradée. La rentabilité des entreprises a en effet diminué suite à la hausse du prix du baril de pétrole et aux hausses des coûts qui se sont ensuivies dans tous les secteurs de l’économie. Ces hausses de coûts ont à leur tour alimenté des revendications salariales, les salariés ne voulant pas voir leur pouvoir d’achat rogné par l’inflation. Les salaires augmentant plus vite que les recettes des entreprises, celles-ci ont dû consentir à diminuer la part des profits dans la valeur ajoutée.

Un consensus s’est alors formé, tant parmi les économistes que parmi les hommes politiques, pour dire qu’il était nécessaire de remonter le niveau des profits. En effet, de forts profits aujourd’hui devaient permettre de forts investissements demain, susceptible de créer de nombreux emplois après-demain. Or le moyen le plus simple de faire croître la part des profits dans la valeur ajoutée était de faire en sorte que les profits augmentent plus vite que les salaires. C’est pourquoi, dans le cas de la France, le ministre des finances de l’époque, Jacques Delors, a décidé en 1983 de mettre fin à l’indexation des salaires sur les hausses des prix (l’inflation). Il s’agissait de rogner le pouvoir d’achat des salariés afin de faire croître les profits, mais ces profits devaient ensuite être utiles à la collectivité sous la forme d’investissements productifs. Une inégalité entre salariés et propriétaires de capitaux était donc tolérée, voire souhaitée, mais cela devait être au service d’une plus grande efficacité collective future. Cette politique dite « de modération salariale » a réussi au-delà de toute espérance, puisque la part des salaires la valeur ajoutée des entreprises est passée en une décennie de 68 % à 58 % environ (et donc les profits de 32 % à 42%), ce qui est sans précédent historique. Mais que sont devenus ces profits ? C’est là que l’histoire s’est mal terminée. Les entreprises ont majoritairement placé les profits accumulés sur les marchés financiers, ce qui a alimenté la hausse des cours boursiers, l’indice CAC40 de la bourse de Paris voyant sa valeur tripler entre 1980 et 1988.

Or si les entreprises ont préférés la Bourse aux investissements « réels » (machines, bâtiments, recherche et développement…), c’est parce que ces derniers offraient des perspectives de rendements très faibles. Pourquoi ? Sans doute parce que les salaires augmentant peu, voire pas du tout, les salariés n’avaient pas les moyens d’acheter plus que ce qu’ils consommaient déjà. La demande stagnant, les entreprises ne voyaient pas de raison d’accroître leur offre et donc d’investir. On peut donc dire que cette politique a été au total inefficace, au sens où elle n’a pas permis la meilleure utilisation possible des ressources disponibles. Celles-ci se sont en effet détournées des besoins collectifs vers l’accumulation boursière, en contradiction sans doute avec ce qu’auraient souhaité la majorité des Français, s’ils avaient eu la possibilité d’organiser ce choix.

« Fin de l’extrait »